Eh bien voilà. Le drame est arrivé. J'ai disposé les explosifs cette nuit, parce que j'avais une grave insomnie, et comme jene savais plus quoi faire, que j'avais lu, joué du piano, fait un sonnet, un tableau aussi, mangé abondamment des tartines de confiture cerise maison, grignoté un morceau de chocolat, bu pour faire passer ces matières lourdes, pour mon plus grand malheur, un bol de café, une fois que j'avais fait le tour de tout et de rien, je me suis décidé. Normalement, tout doit sauter d'ici un quart d'heure. Je me demande si je vais entendre l'explosion, car j'habite à plus de 30 km, mais tout est si calme, dans ce coin perdu, qu'on entend même les cris de délivrance d'une puce en couches, c'est tout dire. C'est les pucerons du jardin qui sont le plus contents, d'ailleurs. Mais moi, entre nous, je m'en moque, des puces et des pucerons. Oui, pour passer le temps, j'ai organisé un feu d'artifice, puisque c'est la grande mode. En Bretagne, c'est plutôt la grande motte, ici c'est la mode. La mode des champs, si vous voulez, parce que dès que tout est posé, que la mèche est allumé, que le détonateur est prêt à être actionné, tout va vite et bien. Bien entendu, on va encore déplorer des cerveaux explosés, des membres arrachés, des yeux vont se prendre pour des billes et, dans la matinée, en allant à l'école, les marmots vont se jeter dessus en croyant que ce sont des billes. Il y en aura, certes, de toutes les couleurs. Je parie qu'ils vont organiser un concours, et qu'il y aura certainement des petits astucieux qui récolteront tout et se mettront la cagnotte dans la poche. Gare à leur mère, quand elle va s'en apercevoir. D'ici qu'elle découvre le pot au roses, et qu'elle en fasse une soupe de lentilles, il n'y a pas loin. C'est que les yeux, c'est précieux. Sans yeux, on ne voit rien. Ou alors il faut mettre des lunettes. Et les lunettes, mes cocos, ça ne tient jamais bien en place. Ca a des branches, et les branches ça se casse. Mieux vaut donc avoir une bonne vue. Ca n'engage à rien, bien sûr mais, parfois, mieux vaut être sourd qu'aveugle. Eh oui : regardez. Si Beethoven n'avait pas été sourd, il n'aurait pas composé la Neuvième Symphonie. Et alors, vous imaginez un peu ? On n'aurait jamais pu chanter le dernier mouvement lors de toute manifestation internationale. On nous aurait fait chanter l'Internationale, peut-être. Ou la chanson de Jean Yanne : Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.
DOnc, vous voyez bien que les choses ne sont pas faciles, loin de là, Seigneur Jésus. Ainsi, des yeux qui roulent comme des lunes éteintes dans les caniveaux au petit matin, des crânes qui n'ont rien à voir avec la Révolution française et la Guillotine. Des membres inactifs, déchiquetés, qui s'entortillent un peu partout, et font la manche. Il y aura probablement des décérébrés constitutionnels qui penseront qu'il s'agit d'épouvantails à moineaux stagiaires. Car il y a beaucoup de chômages, dans cette région. Ils piqueront une crise de jalousie, et ils sont fichus d'aller leur piquer leur job, allez savoir. Moi je me méfie toujours de ce genre de risques, car ça c'est déjà produit. Les mêmes causes engendrent toujours les mêmes effets. Ma foi, le sol sera jonché de troncs, de pieds, de mains, et il faudra bien occuper tout ce petit monde détraqué et démantibulé. Je parie fort qu'il y aura des amateurs de puzzles. Ils vont se régaler. Seulement, ce sera difficile, car il n'y aura pas le modèle initial à leur monter. IL faudra qu'ils inventent ou se fient à leur feeling. Comme ils sont sots, ils n'y arriveront jamais et iront demander la solution aux gendarmes. Lesquels, bien entendu, se précipiteront sur les lieux, et s'apercevront, à ce moment-là seulement, qu'il y a eu comme un grand BOUM BADAMOUM quand l'Aurore aux doigts de Rose a montré le bout de son nez et déserté l'Iliade. ALors là, les poulets comprendront qu'il y a des plumes partout et qu'il faudra recoller les morceaux. Comme ils ne sont pas calés en couture et ne savent pas recoudre des edredons en plumes d'oie, et pire : pas même des oreillers, je me demande comment ils vont tirer l'aiguille et manier les ciseaux. C'est qu'il y aura du raccommodage. Or, les flics, c'est pas fait pour repriser les chaussettes, encore moins les fibres et les kilomètres d'ADN qui vont se promener de partout. Et après, vous croyez que les automobilistes ils vont arriver à retrouver leur route, au milieu de ces fils d'Ariane ? Ca m'en boucherait un coing, d'autant plus que c'est la saison et que j'en ai aperçu sur un cognassier, dans la plaine. Je dois finir de les ramasser pour en faire de la confiture et de la gelée. Les crânes, d'ailleurs, c'est excellent en gelée. C'est un peu comme la salade de museau de cochon. Excellent pour le teint et les glaces sans tain également, car ça dissimule leurs imperfections. Où en étais-je ? Aucune idée. AH oui : je disais donc que ça va sauter d'un moment à l'autre et que j'entendrai tout. Je vous tiendrai, lecteurs adorables et vénérés, au courant de l'affaire, et s'il y a du nouveau, je vous en annoncerai la teneur. Bien entendu, ne vous imaginez pas que tout ce que vous lisez est gratuit : il faudra payer un abonnement à ce feuilleton, car il n'y a pas de petits artifices sans de grandes poudres. Et là, c'est le 14 Juillet maquillé en Christian Dior. Le nec plus ultra.
Eh bien, si après ça je n'ai pas de lecteur, je n'ai plus qu'à faire sauter, pour la prochaine fois, deux boulangeries et trois charcuteries. Cela fera des sandwiches tout prêts pour le Midi et toute la population, pour une fois, sera satisfaite. Car il est certain que pas tout le monde n'aime jouer aux billes ni faire des parties de puzzles. Il faut quand même se mettre à la portée de tout le monde et cesser, une bonne fois pour toutes, d'être égoïste.
Et maintenant, j'écoute le son...
